jeudi 14 mars 2013

Controverse autour du rôle du P. Bergoglio pendant la dictature argentine

Depuis son élection, les médias du monde entier s’interrogent sur les liens passés du nouveau pape avec le régime militaire de la fin des années 1970.  Le débat porte notamment sur le sort de deux jésuites emprisonnés et torturés en 1976.

Dès mercredi soir, la polémique a surgi. Le pape François a-t-il collaboré avec la dictature militaire de son pays, l’Argentine, entre 1976 et 1983 ? Celui qui était alors le P. Jorge Mario Bergoglio a-t-il entretenu des liens avec ce régime à l’origine de la « disparition » de 30 000 personnes, du meurtre de 15 000 opposants politiques et de l’emprisonnement de 9 000 autres ?

En réalité, le nom du nouveau pape est cité dans deux dossiers. Le premier est lié à l’enlèvement de deux jésuites en 1976. À l’époque, les P. Orlando Yorio et Francisco Jalics sont installés dans un quartier pauvre de Buenos Aires, la capitale argentine.

Leur supérieur direct est le P. Bergoglio, 39 ans, provincial des jésuites en Argentine. Arrivé trois ans plus tôt à ce poste, le jeune prêtre est à la tête de jésuites argentins divisés par la théologie de la libération, et touchés par le manque de vocations et les départs de religieux.

Un feu vert implicite selon certains

C’est dans ce contexte que les deux hommes reçoivent, en février, une lettre leur enjoignant de quitter le bidonville. Nous sommes un mois avant le coup d’État du 24 mars 1976 par la junte militaire de Jorge Videla, dans un contexte extrêmement instable. Le refus des deux jésuites provoque leur exclusion de la Compagnie par le P. Bergoglio. Trois mois plus tard, en mai, ils sont kidnappés, séquestrés et torturés, avant d’être relâchés à l’automne 1976.

Aujourd’hui, certains affirment que l’exclusion des pères Yorio et Jalics par le provincial jésuite aurait constitué un feu vert implicite, autorisant la junte à enlever les deux prêtres. « Ce sont les militaires qui ont demandé au provincial des jésuites de les retirer de ces quartiers, car ils étaient un ferment d’opposition », affirme le P. Claude Faivre Duboz.

Ce prêtre français a passé plus de trente-cinq ans en Argentine, entre 1972 et 2008, et lié amitié avec l’un des deux jésuites, le P. Yorio, aujourd’hui décédé. « À l’époque, tous ceux qui étaient proches des pauvres étaient immédiatement soupçonnés d’accointances communistes », poursuit-il.

« C’est grâce à lui qu’ils sont sortis »

Le prêtre français reproche au P. Bergoglio de ne pas avoir soutenu ses amis. « Cette attitude correspond à celle de la hiérarchie catholique à cette époque », juge-t-il. D’autres, au contraire, comme le P. Charles Plancot, affirment que « le P. Bergoglio ne pouvait pas faire plus que ce qu’il a fait ». 

« Il savait que ces deux jésuites étaient menacés de mort, et c’est pourquoi il leur a demandé de partir. Et finalement, c’est grâce à lui s’ils sont sortis », analyse le prêtre français, en mission en Argentine entre 1970 et 1978. Selon lui, le provincial des jésuites, qu’il a croisé à plusieurs reprises, a cherché à œuvrer du mieux possible, en rencontrant le dictateur à quatre reprises pour obtenir la libération des prêtres.

« Il est évident qu’il fallait ménager la chèvre et le chou. J’ai moi-même vécu cela. Plusieurs fois, je suis allé voir des colonels, des généraux, pour les presser de retrouver des disparus », raconte-t-il.

Le cardinal a « fait le maximum »

En 2010, au cours de l’un des rares entretiens accordés aux médias, le cardinal Bergoglio avait affirmé au journal Perfil avoir « fait le maximum avec (son) âge et le peu de relations dont (il) disposait à l’époque afin de défendre les personnes séquestrées ». Dans le même entretien, il ajoutait avoir sauvé la vie d’un opposant, sorti déguisé du pays grâce à ses propres papiers d’identité, et avoir aidé à cacher des dissidents.

La seconde affaire mise en lumière par les médias argentins depuis mercredi est celle des « bébés volés », désignant l’enlèvement par le régime de plusieurs centaines d’enfants à des femmes emprisonnées, pour les confier à un militaire ou à un proche de militaire.

Alors que le cardinal Bergoglio dit avoir découvert l’affaire lorsqu’elle fut révélée au grand public, au début des années 2000, plusieurs membres d’une association proche des victimes, « Les Grands-Mères de la place de Mai », affirme que l’homme d’Église était au courant dès 1976, par le biais de lettres lui signalant la disparition d’enfants, envoyées par des proches.

Fausses photographies

Auditionné en 2010 en qualité de témoin par la justice de son pays, l’archevêque de Buenos Aires a fermement nié avoir été au courant à cette période. Entretenant ces polémiques, plusieurs photographies circulent depuis deux jours sur Internet et prétendent apporter la preuve de rencontres entre le nouveau pape et l’ex-dictateur argentin. Mais ces photographies se sont révélées être des faux.

En 2007, lors de la condamnation d’un prêtre argentin pour avoir été impliqué dans des exactions commises par la junte, le cardinal Bergoglio, alors primat argentin, avait affirmé que « si un membre quelconque de l’Église avait cautionné, par recommandation ou par complicité, la répression violente, il aurait agi sous sa responsabilité, pêchant ainsi gravement contre Dieu, l’humanité et sa conscience ». Sept ans plus tôt, l’Église d’Argentine avait demandé pardon pour ses fautes durant cette période.

Jeudi, le prix Nobel de la paix, l’Argentin Adolfo Pérez Esquivel, opposant historique du régime de Jorge Videla, a estimé que le nouveau pape n’avait aucun lien avec la dictature. « Ce fut le cas de certains évêques, mais pas de Bergoglio. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Archives du blog

Membres

Qui êtes-vous ?

Rechercher dans ce blog

Articles les plus consultés